Dans cette période de pessimiste et de scepticisme généralisé, il est parfois réconfortant de lire des articles, comme celui de Luc Ferry. L'auteur porte un autre regard sur le cercle pernicieux de la médiatisation à outrance des drames humains et des catastrophes. On comprend leur impact sur la confiance que l'on peut placer dans notre capacité à construire ensemble un avenir créateur de sens et respectueux des grandes valeurs. Sans doute le terme "d'indignation" est-il déjà trop usé, mais sa relation avec les grands thèmes de la "télémotion" (télévision émotionnelle) et donc avec l'audimat, me paraît justifiée et fournit matière à réflexion.
Chronique de Luc Ferry dans le Figaro du 31 janvier 2013.
Suis-je devenu paranoïaque ? Chaque jour, j’éprouve l’impression irrésistible que les journaux, spécialement ceux du matin à la radio, font tout pour m’extorquer un sentiment que je déteste, mais auquel, comme tout le monde, je finis par céder : l’indignation. Tout est bon pour y parvenir : un ministre qui aurait un compte en Suisse, un acteur exilé fiscal, un ex-futur président de la république soupçonné de proxénétisme, un prince anglais qui compare la guerre à un jeu vidéo, une française condamnée à tort au Mexique, un chef de la police qui a fabriqué des preuves, des parents qui ont torturé leur fille, une grand-mère morte de froid dans le parc d’une clinique : les motifs ne manquent jamais et cette liste, qui n’a rien d’exhaustif, s’allonge indéfiniment au fil des semaines. Au regard de l’histoire, ces événements sont tous anecdotiques. Si atroces ou choquants soient ils, ils ne présentent guère d’intérêt réel. Leur commentaire n’apportera jamais à personne la moindre clef de compréhension du monde. Ils n’en font pas moins la « Une », voire des « Unes » à répétition, sans aucun profit sur le plan intellectuel. Comment expliquer ce décalage entre ce que la presse pourrait être - une contribution éclairée, au sens de la tradition des « Lumières », à la compréhension de l’époque - et ce qu’elle est de fait quand elle surfe sur l’émotionnel pur ? Je vous propose deux clefs de lecture, l’une que j’emprunterai à Tocqueville et l’autre à Heidegger – cela dit non par cuistrerie, mais pour rendre à César ce qui est à César.
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